Séminaire MSH - Risques et périls en Arctique : Les récits des expéditions polaires pendant le petit âge glaciaire
La troisième séance du séminaire interdisciplinaire, ouvert au public, de la Maison des Sciences de l'Homme de Clermont-Ferrand (UAR 3550), « Situations extrêmes et résilience », se tiendra le jeudi 17 février 2020 de 10h à 12h, à la MSH, amphi 220. Sophie Lemercier-Goddard, Maître de Conférences à l’ENS de Lyon en littérature de la Renaissance et membre de l’IHRIM (UMR 5317), présentera une conférence intitulée Risques et périls en Arctique : Les récits des expéditions polaires pendant le petit âge glaciaire.
Biographie
Sophie Lemercier-Goddard est Maître de Conférences à l’ENS de Lyon en littérature de la Renaissance et membre de l’IHRIM (UMR 5317). Ses recherches portent sur le théâtre et les récits d’exploration de la première modernité britannique. Elle est l'auteur d’articles sur Shakespeare et ses contemporains, ainsi que sur les voyages d’exploration des Anglais (circumnavigation de Francis Drake, voyages en Arctique de Sir Humphrey Gilbert, Martin Frobisher, Henry Hudson) qui portent sur les questions de rhétorique, de traduction, d’identité, et plus généralement sur l’écriture de l’empire et l’économie du voyage dans le monde atlantique anglais des XVIe et XVIIe siècles. Elle a co-édité plusieurs ouvrages sur Shakespeare et d’autres dramaturges de la période (dont ‘Work, work your thoughts’: Henry V revisited, avec Sophie Chiari aux Presses Universitaires Blaise Pascal, 2021) ; un prochain ouvrage sur les échanges transnationaux et multilingues, ‘A World of Words’: Writing Distant Travels and Linguistic Otherness in Early Modern England (c. 1550-1660), coédité avec Chloe Houston et Ladan Niayesh, est à paraître au printemps 2022.
En résumé
La formation de l’espace atlantique britannique qui s’impose aux XVIIIe et XIXe siècles commence près de deux siècles plus tôt, au XVIe siècle, dans le grand nord : ce sont d’abord les latitudes septentrionales qui attisent les convoitises impériales, depuis les premiers voyages exploratoires de John Cabot (1497) jusqu’à la création de la Compagnie de Moscovie (1555) qui va commanditer et soutenir de nombreuses expéditions vers le nord-est et le nord-ouest. Ces expéditions polaires étaient tout autant destinées à ouvrir de nouvelles voies maritimes en vue de développer des échanges commerciaux, qu’à découvrir des terres inconnues où l’Angleterre pourrait fonder ses rêves d’empire. Les tentatives d’incursion et de colonisation dans ces terres froides se succèdent – John Willoughby en Nouvelle-Zemble (1554), Humphrey Gilbert à Terre-Neuve (1583), Martin Frobisher (1576-1578), John Davis (1585) ou Henry Hudson (1607-1611) dans l’archipel arctique – et elles ont en commun de toutes se conclure par des échecs, qui vont du fiasco à la tragédie. Les revers des Anglais sont le résultat de multiples facteurs qui se trouvent décuplés dans l’environnement instable du grand nord marqué par la nature extrême du climat. S’il est commun de voir dans ces voyages exploratoires une méthodologie du tâtonnement expérimental– apprentissage progressif par l’essai et l’erreur – qui permettra en 1607 le développement de la première colonie viable, Jamestown en Virginie, et avec elle, les débuts du premier empire britannique, nous proposons de réexaminer les risques encourus et les compétences développées lors de ces voyages au « bout du monde » à la lumière d’une réflexion plus générale sur le thème de la catastrophe. Les expéditions de Frobisher, puis de Hudson, à la recherche du passage du Nord-Ouest, font le récit d’un combat inégal entre des hommes mal préparés et une force naturelle, la glace, qui déroute leurs trajectoires, défie leur courage et défait toutes leurs certitudes. Les récits qui sont ainsi constitués forment les premières étapes d’un grand récit nationaliste triomphant mais ils résonnent aussi auprès d’une population qui fait face en cette fin de XVIe siècle à une série de dérèglements climatiques, dont les grandes gelées, témoins du petit âge glaciaire qui affecte l’Europe. Quels sont les enseignements de ces voyages où les risques et les dangers nous semblent dépasser de loin les bénéfices illusoires attendus ? Les exemples de Frobisher et Hudson nous permettront de retracer la méthodologie et la fonction épistémologique et symbolique du voyage d’exploration en terre et mer inconnues et de voir quelles sont les motivations de ses différents acteurs, comment le risque est appréhendé et maîtrisé, et quelles compétences et ressources, individuelles et collectives, sont mobilisées.