ECRIN - Le langage inclusif parmi les étudiantes et étudiants de l’Université Clermont Auvergne

Responsable scientifique : Damien CHABANAL (Professeur en sciences du langage à l'Université Clermont Auvergne / Directeur du Laboratoire de Recherche sur le Langage)
Chercheurs et laboratoires associés : Kevin Petit (Maître de conférences en études anglophones et sociolinguistique à l'UCA / LRL) ; Jérémi Sauvage (Professeur en sciences du langage à l'Université Paul-Valéry - Montpellier 3 / Laboratoire LHUMAIN) ; Aurélien Veillault (Doctorant / LRL) ; Claire Berthonneau (Chargée de mission Égalité-Diversité de l'enseignement supérieur à l'UCA)
Disciplines : sociolinguistique, linguistique interactionnelle
Durée du projet : 24 mois

La question de l’inclusivité et de la représentation se pose aujourd’hui comme une question politique et sociale majeure dans les débats politiques contemporains en France. Si cette question se pose à plusieurs niveaux, elle se pose aussi dans la langue à l’écrit sous la forme de l’« écriture inclusive » notamment et à l’oral par l’émergence de nouvelles formes langagières ou d’usages préférentiels destinées à mieux représenter la présence des femmes (voire des personnes s’identifiant comme non-binaires). Si la langue a toujours été un lieu de lutte politique, c’est un nouvel espace de lutte qui émerge avec le langage inclusif. De nombreuses formes, parfois concurrentes et parfois complémentaires, cohabitent aujourd’hui dans l’usage, avec des degrés de popularité très variables ; au niveau des noms genrés, on retrouve des expressions épicènes (« le corps estudiantin ») à l’émergence de formes neutres, certes rares (tel que « musician ») en passant par l’usage de la conjonction (« les étudiantes et les étudiants »). Loin de pouvoir résumer cette lutte en une opposition binaire entre les « pro » et les « anti », la diversité des usages se voulant inclusifs et des jugements sur ceux-ci (sur leur acceptabilité, sur leur caractère inclusif, mais aussi sur leur « lourdeur », leur « beauté », etc.) émis par les locutrices et les locuteurs les oppose ou les réunit de manière complexe.

Les raisons qui poussent à défendre ou à rejeter certaines ou toutes ces formes rendent nécessaire de considérer ce qu’Anne-Marie Houdebine appelle des imaginaires linguistiques, ainsi que les idéologies linguistiques (voire politiques) promues institutionnellement (mentionnons à ce titre la proposition de loi du26/01/2022 et adopté au Sénat le 30/10/2023 pour interdire l’« écriture inclusive », visant notamment le point médian, dans les documents administratifs, professionnels, commerciaux, etc., et à l’Université Clermont-Auvergne, la Charte pour une communication inclusive adoptée le 24 juin 2022 autorisant explicitement l’usage du point médian).

Nous cherchons à rendre compte de l’organisation de cet espace de lutte parmi les étudiantes et les étudiants au sein de l’Université Clermont-Auvergne et des imaginaires et idéologies linguistiques qui structurent cet espace. Une telle recherche devra dresser un tableau général et des usages, qu’ils se veulent inclusifs ou non parmi les étudiantes et les étudiants ainsi que des imaginaires linguistiques qui (dé)légitiment ces usages. Nous pourrons alors mettre en évidence des différences éventuelles selon le genre/sexe, l’appartenance ou non à une minorité LGBTQI+, les affiliations politiques mais aussi selon le milieu socio-économique, la filière d’études, ou l’aisance avec le français. Ces différences permettront de déterminer quels groupes estudiantins sont les plus impliqués dans la promotion ou la lutte contre certaines formes se voulant inclusifs et de préciser les rapports particuliers des différents groupes sociologiquement pertinents à la langue, dès lors de révéler les raisons qui font que ces groupes adoptent ou non telle ou telle forme se voulant inclusive. Ces résultats offriront à l’institution universitaire et au corps enseignant une meilleure connaissance des enjeux sociaux et des difficultés particulières qui peuvent se poser lorsqu’elles et ils privilégient tel ou tel usage.

Ce travail exigera l’utilisation de méthodes complémentaires de récolte de données. Des observations et des entretiens ethnographiques au sein d’associations et syndicats étudiants investis dans cette question nous permettront de mettre au jour les usages, les imaginaires et aussi les stratégies employées par les étudiantes et étudiants les plus militants pour défendre leurs points de vue au sein de l’Université. Des entretiens semi-directifs auprès d’une soixantaine d’étudiantes et d’étudiants nous aideront à mettre au jour les imaginaires linguistiques typiques chez les étudiantes et les étudiants. En complément à ces données qualitatives, un questionnaire envoyé auprès de plusieurs centaines d’étudiantes et d’étudiants nous permettra de déterminer parmi les imaginaires linguistiques typiques relevés au cours des entretiens lesquels sont dominants, ainsi que d’observer des corrélations entre les différentes variables sociologiques déjà évoquées et ces imaginaires. Finalement, il nous semble nécessaire de mettre en évidence les jugements sociaux, positifs ou négatifs, liés à l’emploi de telle ou telle forme ; c’est ce que la technique du locuteur masqué, déjà éprouvée depuis William Labov, nous permettra de révéler.

Lauréat de l'appel à projets simplifié 2024, ce programme est soutenu financièrement par la MSH de Clermont-Ferrand et de l'institut des Lettres Langues Sciences Humaines et Sociales de l'Université Clermont-Auvergne.