Arthur Cognet, lauréat du prix Jean-Philippe Luis...

Pour la seconde édition (2024) du prix Jeunes Chercheuses et Jeunes Chercheurs Jean-Philippe Luis, soutenu par l'UCA, le CNRS et le RnMSH, le jury, présidé par Philippe Bourdin, a récompensé Arthur Cognet, ethnologue, pour son manuscrit intitulé « Des récits de la colonisation. Ethnogenèse, tradition orale et nationalisme chez les Napo Runa d’Amazonie équatorienne ». Ce manuscrit est, à l’origine, une thèse dirigée par Dejan Dimitrijevic et soutenue à l’Université Lyon 2 en 2022.

En savoir plus sur le prix Jeunes Chercheuses et Jeunes Chercheurs Jean-Philippe Luis...

La remise officielle du prix s'est déroulée à la Maison des Sciences de l'Homme de Clermont-Ferrand le lundi 15 juillet 2024.

Arthur Cognet, entouré de Philippe Bourdin, Sophie Chiari, directrice de la MSH, de Pierre Rouillard, membre du jury, et de l'équipe des PUBP.

Le lauréat

Arthur Cognet est ethnologue. Il réalise depuis 10 ans des recherches ethnographiques et ethnohistoriques avec les Napo Runa d’Amazonie équatorienne. Il leur a consacré sa thèse, « Des récits de la colonisation. Ethnogenèse, tradition orale et nationalisme chez les Napo Runa d’Amazonie équatorienne », dirigée par Dejan Dimitrijevic et soutenue le 25 mai 2022 à l’Université Lyon 2. Docteur en anthropologie, il est membre associé du Laboratoire d'Anthropologie des Enjeux Contemporains (LADEC).

Présentation du manuscrit (par son auteur)

Entre 2014 et 2022, j’ai réalisé des recherches ethnographiques avec les indigènes Napo Runa (gens du fleuve Napo) d’Amazonie équatorienne qui représentent environ 20 mois de terrain en Amazonie. Les Napo Runa forment un groupe composé d’environ 120 000 personnes habitant le bassin du fleuve Napo. Ils sont traditionnellement agriculteurs, chasseurs, pécheurs, cueilleurs, bien qu’aujourd’hui ils se tournent aussi vers des emplois salariés temporaires. Les Napo Runa parlent le quechua amazonien, une langue appartenant à la famille des langues quechuas, parlées principalement dans les régions andines d’Amériques du Sud. Mes recherches chez les Napo Runa ont couvert de nombreux aspects de leur vie sociale (techniques de chasse et de pêche, agriculture, rapport à la forêt et aux non humains, chamanisme, linguistique, etc.), mais elles ont principalement porté sur leur tradition orale et leurs récits historiques de la colonisation. J’ai enregistré de nombreux récits en quechua que j’ai transcrits et ensuite traduits en français. Ces recherches de terrain ont été complétées par des recherches historiques réalisées dans divers fonds d’archives contenant des documents concernant la région du fleuve Napo entre le 16e et le 20e siècle. Mes recherches doctorales reposent donc sur une pluralité méthodologique et thématique, à la croisée de l’anthropologie, de l’histoire et de la linguistique.

Mes recherches ont été synthétisées dans une thèse de doctorat intitulée « Des récits de la colonisation : ethnogenèse, tradition orale et nationalisme chez les Napo Runa d’Amazonie équatorienne », réalisée sous la direction de Dejan Dimitrijevic, que j’ai soutenue le 25 mai 2022 à l’Université Lumière Lyon 2. Dans cette thèse, je développe trois axes en lien avec l’ethnohistoire des Napo Runa. Dans une première partie, je rends compte de l’ethnogenèse des Napo Runa à travers une épistémologie anthropologique et historique occidentale, sur la base de documents historiques publiés et inédits, produits par des acteurs coloniaux entre le 16e et la première moitié du 20e siècle. Je montre que c’est durant la période coloniale et à travers d’intenses rapports avec les acteurs coloniaux que la culture des Napo Runa avec ses caractéristiques particulières (christianisme, monogamie, consommation de sel, langue quechua, absence de mariage entre cousins croisés, absence de guerre intertribale, etc.) est apparue, s’est distinguée de celles des groupes voisins et s’est reproduite jusqu’à aujourd’hui. Dans une seconde partie, je m’intéresse à ce processus d’ethnogenèse et à la situation coloniale à partir de la tradition orale napo runa et de l’épistémologie qui lui est inhérente. J’essaye également de rendre opérant certains concepts historiques napo runa ainsi que des éléments de leur cosmologie et de leur ontologie animiste pour rendre compte d’une histoire locale divergente de celle qui apparait à l’examen des documents coloniaux. Enfin, dans une troisième partie, je décris les processus récents d’élaborations de constructions identitaires et nationalistes napo runa qui se développèrent dans l’Équateur officiellement multiculturel et pluriethnique depuis la fin des années 1990. Dans ces constructions identitaires, un événement lié à la colonisation de la région du Napo est omniprésent : la révolte indigène de 1578 que les Napo Runa découvrir par le biais des écrits des historiens et des ethnologues dans les années 1980-1990. Parmi les meneurs de cette rébellion, les Napo Runa ont choisi un cacique nommé Jumandy pour en faire leur héros national. Aujourd’hui de nombreux récits nationalistes sont produits autour de Jumandy et ce personnage est inscrit dans le paysage médiatique et physique de la région à travers divers procédés (œuvres littéraires, articles de journaux, monumentalisation, icônisation, antropo-toponymie). Comme résultat des revendications d’historiens non-indigènes amazoniens et des intellectuels napo runa, l’État équatorien reconnu officiellement Jumandy comme « héros national et symbole anticolonial » en 2011.

Le Prix Jeunes Chercheuses et Jeunes Chercheurs Jean-Philippe Luis consiste principalement en la publication de ce manuscrit aux Presses universitaires Blaise-Pascal.