PROTHERMA - PROspection THERMique pour l'Archéologie
Lauréat de l'AAP Émergence 2023 (UCA / I-site Cap 20-25), le projet de la Maison des Sciences de l'Homme de Clermont-Ferrand (UAR 3550), coordonné par Élise Fovet, Ingénieur d'études à la plateforme IntelEspace, le projet PROTHERMA a pour objectif d’améliorer la reconnaissance des vestiges archéologiques enfouis sous la surface du sol grâce à leurs émissions infrarouges thermiques. Il propose la mise en œuvre d’une approche rigoureuse et originale, basée sur deux modes de mesures de terrain complémentaires, captées et analysées tout au long d’une année par une équipe interdisciplinaire comprenant des archéologues, des géomaticiens, un spécialiste en instrumentation scientifique et un spécialiste du traitement du signal et des images. Ce projet collaboratif permettra de développer une méthode d’acquisition de données novatrices et encore peu explorées, qui présentent un fort potentiel pour l’étude des milieux de prairie en général.
L'ambition du projet PROTHERMA (PROspection THERMique pour l'Archéologie) est d’améliorer la reconnaissance des vestiges archéologiques enfouis sous la surface du sol grâce à leurs émissions infrarouges thermiques. Les processus entraînant l’apparition d’anomalies du terrain, signalant en surface la présence de structures archéologiques enfouies, sont aujourd’hui assez bien cernés pour le domaine visible (partie du spectre électromagnétique visible à l’œil nu) et constituent le cœur de métier des spécialistes de l’archéologie aérienne. Ces derniers utilisent essentiellement des appareils photographiques classiques pour enregistrer les anomalies, de coloration ou encore de croissance des végétaux, plus rarement de coloration des sols nus, qu’ils repèrent depuis un avion volant à basse altitude. La méthode est surtout effective dans les parcelles cultivées, particulièrement les céréales et la luzerne, au début du développement des plantes et au moment de leur mûrissement. Pour autant, la reconnaissance archéologique par cette méthode est imprévisible, car très fortement conditionnée par les conditions atmosphériques, ainsi que par les pratiques culturales (irrigation/drainage, utilisation d’engrais ciblés). Pour contourner ce problème, les prospecteurs aériens effectuent de fréquents survols de la même région, des années durant, à l’affût d’une nouvelle découverte ou d’un meilleur cliché sur un site déjà repéré. Mais aujourd’hui, les développements de la télédétection par drone ouvrent de nouveaux horizons. Combinant amélioration de la fiabilité des aéronefs télécommandés, développement d’algorithmes et solutions logiciels adaptés au traitement d’images très haute-résolution et miniaturisation de capteurs opérant dans divers domaines du spectre électromagnétique, ces méthodes émergentes autorisent la détection d’anomalies lorsque les conditions ne sont pas optimales. Le domaine infrarouge thermique du spectre électromagnétique est en effet plus sensible à certaines caractéristiques des sols et des plantes ; il est de ce fait susceptible d’améliorer nettement la lisibilité des traces d’occupations humaines anciennes les plus ténues. Cela lui confère également de meilleures potentialités pour l’exploration des milieux les moins propices à la recherche archéologique, telles les zones de prairies, naturelles ou artificielles.
Enjeux scientifiques
L’utilisation de ces technologies pour la prospection archéologique est encore mal maîtrisée, il existe très peu de publications sur le sujet et des questions d’apparence simples, concernant la mise en œuvre (à quel moment ? dans quel milieu ? pour quel type de vestige ?) et l’interprétation des résultats, restent en suspens. Un projet pilote réalisé par la plateforme IntelEspace en 2019 et 2021 (sur fonds propres) sur des portions de voies romaines a montré la capacité des capteurs thermiques sur drone à révéler les vestiges archéologiques enfouis en contexte de prairie. Les différentes parties des voies (chaussées, bas-côtés) se distinguent clairement sur plusieurs des images thermiques. Mais ces premières acquisitions de données ont également mis en évidence une forte fluctuation des signatures thermiques obtenues : selon le moment de l’année, la lisibilité des structures varie de très bonnes à nulles et une inversion du signal pour un même vestige a même été observée. Bien que la prospection thermique soit expérimentée depuis la fin des années 70 (tout d’abord avec des systèmes embarqués sur avion), les facteurs en jeux sont encore mal cernés : quelles interactions existent entre l’inertie thermique des objets d’étude ou l’humidité des sols et la profondeur d’enfouissement des vestiges ou encore leur type (constructions en dur, matériaux périssables, fosses comblées de sédiments, etc.) ?
Ces verrous scientifiques rendent très aléatoire la découverte de vestiges archéologiques enfouis avec cette technique. Ce qui peut d’ailleurs expliquer sa faible utilisation actuelle, comparée à d’autres méthodes d’étude non-invasives comme la prospection géophysique (radar, électrique, magnétique), alors qu’il est aujourd’hui possible de la mettre œuvre à des coûts d’utilisation bien inférieurs. Or, jusqu’ici, les études archéologiques sur, ou utilisant, la prospection thermique ne constituent qu’une somme d’expériences ad-hoc. Pour diverses raisons (manque de matériel, disponibilité des personnels, éloignement des terrains par rapport aux centres de recherche), les études précédentes ont été effectuées sur des temps trop courts pour traiter efficacement du problème – au mieux, les expérimentations ont été réalisées sur une période de 24h (Haley et al. 2002, Carmona et al. 2010, McLeester et al. 2018). Nous manquons clairement d’études s’intéressant à l’évolution des émissions infrarouges thermiques sur des périodes plus longues, permettant d’appréhender les variations saisonnières autant que les fluctuations liées aux conditions atmosphériques. En effet, la thermographie infrarouge n’est pas une méthode de mesure directe de la température : l’image obtenue ne dépend pas seulement de la température des surfaces, mais aussi leur émissivité, cette grandeur étant elle-même dépendante de différents paramètres (nature et couleur du substrat en particulier). Ce projet poursuit la mise en œuvre d’une approche rigoureuse, développée tout au long d’une année par une équipe interdisciplinaire comprenant des archéologues, des géomaticiens, un spécialiste en instrumentation scientifique et un spécialiste du traitement du signal et des images.
Plus largement, cette approche novatrice renforcera les connaissances en matière de télédétection. S'appuyant sur des techniques de prospection et d’étude innovantes, le projet collaboratif PROTHERMA permettra de développer des méthodes d’acquisition de données qui pourront être adaptées à d’autres disciplines que l'archéologie, notamment celles s’intéressant aux espaces de prairies : géographie, géosciences, agronomie par exemple...